Une « intégrale » des mélodies de Massenet

par / Jeudi, 01 décembre 2022 / Publié dans Actualité, Non classé
moyenAtma

Le label québécois ATMA Classique propose en 13 CDs une intégrale des mélodies de Massenet. Travail titanesque comprenant pas moins de 333 mélodies, dont 13 inédits et 31 mélodies jamais enregistrées. 24 artistes : chanteuses, chanteurs, instrumentistes, comédiens ont collaboré à cette entreprise monumentale.

Voici l’Avant-Propos rédigé par Jacques HETU, coéditeur du livret :

« Cette première intégrale consacrée au corpus mélodique de Jules Massenet (1842-1912) constitue, dans l’histoire de la discographie moderne, le chantier le plus ambitieux jamais mené au Canada. 

ATMA Classique a endossé le projet, et je tiens en premier lieu à remercier son président, Guillaume Lombart. Philanthropes, mécènes et commanditaires ont rendu possible ce projet colossal dont l’aspect financier n’était certes pas le moindre des soucis. 

Les enregistrements commencés à l’automne 2020, durant la longue période de confinement, se sont poursuivis tout au long de l’année 2021 pour se terminer en avril 2022. La crise sanitaire en a permis la réalisation en un temps relativement court, compte tenu de l’ampleur du corpus. En effet, il aurait autrement été difficile de réunir en salle capitulaire tous ces artistes qui, en temps ordinaire, parcourent la planète. Cependant, l’incertitude demeurait constante et planait au-dessus de l’une ou l’autre des séances d’enregistrement, telle une épée de Damoclès. L’église de Saint-Benoît à Mirabel, lieu de recueillement et espace de réflexion, a offert un environnement sain, propice à l’accomplissement du travail de chacun et chacune, et cela, dans la stricte observance de la distanciation sociale. C’était une sorte d’éthique du partage qui y régnait, une vision d’écoute axée sur les attentes des mélomanes. 

Enregistrer est un moment crucial pour un interprète : c’est fixer une image sonore à un moment précis de sa carrière. Le soin apporté par un artiste au style d’interprétation constitue à la fois le geste essentiel d’une continuité dans l’expression musicale et la base même d’une expérience acoustique optimale. Cette intégrale réunit la fine fleur des voix du Québec : les sopranos Karina Gauvin, Sophie Naubert, Anna-Sophie Neher et Magali Simard-Galdès ; les mezzo-sopranos Julie Boulianne et Michèle Losier ; les contraltos Florence Bourget et Marie-Nicole Lemieux ; les ténors Frédéric Antoun, Antoine Bélanger, Antonio Figueroa, Emmanuel Hasler, Joé Lampron-Dandonneau et Éric Laporte ; et les barytons Marc Boucher, Jean-François Lapointe et Hugo Laporte. 

Le pianiste Olivier Godin, véritable clé de voûte de l’édifice mélodique, assure la cohésion de l’architecture musicale. Soulignons en outre l’oreille attentive et omniprésente de Johanne Goyette, aux commandes de toutes les séances d’enregistrement, et le travail remarquable de Marc Boucher, à la direction artistique. Certaines mélodies sont écrites pour guitare, harpe ou clavecin. Toujours dans le but de rétablir la marque de fabrique de chaque œuvre, l’accompagnement est effectué tel que la partition originale l’exige, tantôt par le violoniste Antoine Bareil, tantôt par le guitariste David Jacques, ou encore par la harpiste Valérie Milot. Les parties du clavecin et de l’harmonium sont tenues par Olivier Godin, et Stéphane Tétreault se charge de la partie du violoncelle. Les voix parlées de Marie-Ève Pelletier et de Jean Marchand complètent le tableau. Enfin, le directeur de production, Michel Ferland, supervise tout le processus d’un point de vue organisationnel. 

L’acquisition d’un piano de concert Érard de 1854, instrument riche et subtil accordé au diapason 435 Hz (arrêté ministériel de Paris, 1859), a permis de restituer avec la plus grande justesse les harmoniques du temps de Massenet. Olivier Godin a su faire sienne l’esthétique particulière de l’époque – le jeu pianistique perlé si caractéristique de l’école française d’avant-guerre –, qui exige un accompagnement pianistique étoffé et raffiné. Il fournit un espace sonore, crée des atmosphères et déploie des élans romantiques justifiés par le poème, complice de la courbe vocale. 

Les mélodies recensées se fondent aux partitions originales – pages manuscrites, autographes, éditions conformes aux sources. Servir le poème sublimé par la musique à partir de l’urtext. Pour les mélodies dont l’accompagnement n’était pas de la main de Massenet – souvent sans partition de violoncelle –, Olivier Godin a réalisé des arrangements en s’approchant le plus près possible de versions avec violoncelle obligé déjà existantes. Le résultat – in the style of Massenet – ne déforme ni l’esprit ni le matériau des mélodies. Massenet aurait sans aucun doute adoubé ces versions. 

Point de départ de notre intégrale : respecter la pensée du compositeur – l’esprit et la matière – et repartir sur de nouvelles bases. Décryptage de l’œuvre et rejet du maniérisme qui déforme le message ou d’une tradition suspecte colportée depuis des lustres. Faire table rase des idées reçues. Tâche difficile mais nécessaire, laissant à nu l’interprète et l’accompagnateur. Certes, on pourra rétorquer que toute interprétation est une expérience temporelle dans un espace désigné. Nul n’échappe à cette règle. Notre intégrale s’ouvre sur un vaste édifice à découvrir pièce par pièce, chacune s’adressant autant au dilettante qu’au connaisseur avisé. C’est à travers le prisme poésie-voix-harmonie que se crée un nouvel horizon d’attentes selon l’expérience, les connaissances de chacun. 

Nous nous sommes affairés à collationner la totalité des pièces avec des éditions anciennes, à décrypter les autographes, à rendre lisibles les manuscrits parfois couverts d’embrun et à éviter les écueils, naviguant entre ciel et terre. Néanmoins, notre inventaire n’est guère définitif : ainsi n’est-il pas exclu, compte tenu de la fécondité du compositeur, que surgissent d’autres inédits. 

Les mélodies interprétées selon de nouveaux critères ouvrent la voie à une révision de la perception et de la réceptivité du public. Longtemps source d’insatisfaction, l’interprétation a plus d’une fois trahi les intentions du compositeur par une ligne de chant hachurée ; les halètements intempestifs ont desservi la musicalité inhérente à la mélodie, confondant charme et afféterie. Les indications du maître soutenu et expressif – pour le piano – et assez lent avec une exaltation toujours croissante – pour la voix –, souvent présentes dans les didascalies, reflètent la nature dramatique et l’intensité expressive de sa musique. Mais, l’interprète doit adopter une approche rigoureuse et métronomique, sans généralisation simple, et savoir lire entre les lignes, comprendre le non-dit, sans exclure le lyrisme de la voix et l’émotion qu’elle suscite dans de nombreuses pages. 

La mélodie chez Massenet : musique des confidences, de l’intimité, musique qui exalte le corps et émancipe l’âme, et qui souvent fractionne l’être tout entier. L’interprétation restera toujours la pierre d’achoppement, l’écueil à surmonter, car il faut écouter cette musique de l’intérieur, la faire sienne avant de la partager. C’est une esthétique de l’émotion, des couleurs et des nuances, des atmosphères changeantes aux amours contrariées, sous tous les climats et à toutes les saisons. L’enregistrement constitue le dernier volet de ce vaste chantier. C’est un legs important pour la reconnaissance de l’apport mélodique de Massenet. 

Une mélodie à deux voix, Au large , inédite, illustre ce périple : Au pays des autres étoiles / Aux lointains pays fabuleux / Le vaisseau sous ses blanches voiles / Nage au gré des flots onduleux. Les voiles sont levées, la nef va prendre la mer et respirer l’air du grand large. À son bord, les œuvres vives de quelque 333 mélodies. Si la musique s’écrit sur la portée de l’autre monde, son chant envoûtant se pose sur l’horizon infini. À la découverte d’un nouveau continent mélodique. 

Les rédacteurs Jean-Christophe Branger , Hervé Oléon , François Le Roux  et Catherine Scholler  se sont joints à moi pour commenter chacune des mélodies et les replacer dans leur contexte. Ces notices, toujours enrichissantes, sont disponibles dans le livret numérique de l’intégrale, sur le site Web d’ATMA Classique. »

 

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