Une nouvelle biographie

par / Jeudi, 18 juillet 2024 / Publié dans Actualité, Non classé
Jules-Massenet-Branger1

 

 

Cela faisait longtemps qu’un ouvrage d’envergure consacré à Massenet n’avait été publié.

 

C’est à présent chose faite avec le « Jules Massenet » signé par Jean-Christophe Branger édité par Fayard.

 

Ce livre imposant de plus de mille pages est disponible sur les plates-formes internet et les librairies au prix de 49 euros.

 

Auteur de deux piliers du répertoire lyrique (Manon, Werther), Jules Massenet (1842-1912) reste un compositeur méconnu. 

S’il occupe une place éminente en son temps, ses oeuvres, souvent adulées des chanteurs et des amateurs d’opéra, ont suscité de vastes polémiques, qui perdurent. 

Le présent ouvrage apporte un éclairage inédit sur sa vie et sa carrière à la lumière de nombreuses sources inédites.
Alors que Wagner s’impose comme un modèle puissant, Massenet s’affranchit de cette figure tutélaire en se forgeant un style appelé à faire école jusqu’à Debussy, Puccini et Poulenc. 

Il fréquente les artistes majeurs de son époque, comme Maupassant ou Proust, qui façonnent certains de leurs personnages en s’inspirant de son caractère qui détonne dans un univers profondément masculin.
À la fois mondain et solitaire, fragile et superstitieux, Massenet se réfugie dans son travail qui atteste d’une force de caractère peu commune et d’un artiste en quête de sa propre vérité.
Figure emblématique d’une jeune République qui s’érige sur les décombres du Second Empire, il produit une oeuvre kaléidoscopique, miroir d’une société en pleine mutation qui fait étrangement écho à la nôtre. 

Après la défaite de 1870, son oeuvre exalte les valeurs et racines culturelles de la France, mais interroge aussi la place des femmes et de la religion dans la société.

 

Jean-Christophe Branger, agrégé de musique et docteur de la Sorbonne, est professeur de musicologie à l’université Lumière Lyon 2. 

Ses recherches portent sur la musique française sous la IIIe République et Jules Massenet en particulier. 

Après avoir soutenu une thèse consacrée à Manon (Serpenoise, 1999), il a publié des articles étudiant la carrière et la musique de Massenet, une édition critique de ses écrits (Mes souvenirs et autres écrits, Vrin, 2017) 

et plusieurs de ses oeuvres méconnues ou inédites (Symétrie).

 

 

Voici quelques critiques saluant la pertinence de l’ouvrage :

 

Classic News (Hugo Pabpst)

L’auteur dans sa remarquable introduction, synthétise la fortune critique de Jules Massenet (1842-1912), et par cette clarification, évacue (enfin) le malentendu que se sont ingénié à développer ses détracteurs dont surtout le nauséeux Lucien Rebatet, et ses idées extrémistes, particulièrement dépréciatif à l’endroit de Massenet (en cela étonnamment relayé par Fauré dont les propos réducteurs sur Massenet sont aussi la révélation du texte). La vulgarité commerciale de Massenet, sa sensiblerie, son art efféminé (avec tout le mépris pour la gent féminine à la clé) sont les défauts principaux d’un auteur définitivement « méprisable ».

 

Heureusement avec le recul de l’histoire et l’avènement de musicologues et de compositeurs comme des analystes plus récents, le jugement sur Massenet s’adoucit… A l’instar d’Olivier Messiaen qui en 1952 souligne avec raison au moins deux qualités fondamentales et indiscutables du génie de Massenet : sa sincérité, son efficacité dramatique.
Ceci étant posé, il était temps de défendre et ainsi formuler, une plus juste évaluation des œuvres de Massenet. L’intérêt de la biographie éditée par Fayard est aussi la présentation exhaustive et très complète de chaque ouvrage lyrique, Massenet étant le plus grand compositeurs d’opéras de la Belle Époque : le maître de Debussy influence jusqu’à Poulenc, Puccini et… Messiaen (3 petites liturgies de la présence divine, 1943).
Celui qui remporte le Prix de Rome en 1863, marque l’histoire de cette compétition aussi incontournable que discutable dans son fonctionnement… Massenet, professeur au Conservatoire, lui-même disciple admiratif de son mentor, Ambroise Thomas, transmet l’art dramatique et lyrique à nombre de jeunes compositeurs qui dans leur majorité décrocheront le fameux 1er Prix.

Les plus de 20 titres (oui il n’y a pas que Manon, Werther ou Don Quichotte…) dont la discographie ne s’est jamais aussi bien portée, depuis les Rolf Liebermann, Michel Plasson ou Richard Bonynge au début des années 1970, sont présentés avec moult détails et précisions sur leur genèse. Voilà qui atteste d’un véritable Massenet revival, d’autant plus inscrit dans l’espace hexagonal que Jean-Louis Pichon, inaugure depuis 1988 (avec Amadis), la fameuse Biennale Massenet, événement célébrant dans sa ville natale, le tempérament lyrique du compositeur.

D’une façon générale, comme c’est le cas des opéras de Puccini, Massenet interroge l’idéal féminin. Ses œuvres nuancent considérablement la conception des personnages féminins à l’opéra, depuis la typologie des héroïnes sacrificielles du premier romantisme, avec Norma, Lucia, Elvira… sans omettre Leonora et Violetta (la Traviata).
Sous le masque d’un auteur facile et superficiel, Massenet questionne aussi la place de l’église dans la société, simultanément aux évolutions politiques et sociétales qui aboutissent à la séparation de l’Église et de l’État en 1904.

 

Au-delà des visions fantasmatiques propres à son époque (quand même très misogyne), chaque opéra met en scène le portrait d’une héroïne en conflit avec les croyances et les pratiques de leur temps (que résument plus directement les relations de l’héroïne ainsi portraiturée et des hommes). Chaque ouvrage questionne le désir et l’identité féminins, au point même de tracer en une trajectoire passionnante, l’émancipation des femmes sur près de 40 ans d’histoire française, de la IIè République à l’aube de la première guerre mondiale, de 1870 à 1910… quel chemin parcouru depuis Esclarmonde et Manon à Thérèse, La Navarraise et … Fausta, la vestale coupable de l’un des ultimes opéras de Massenet : Roma ! Sans omettre Ariane, Hérodiade, Thaïs, Sapho, Grisélidis, Cendrillon, Cléopâtre… Texte incontournable.

 

Première loge opéra (Laurent Bury)

 

Qui n’a pas sa Cendrillon ? Depuis une dizaine d’années, il ne se passe plus une saison sans qu’un nouveau théâtre inscrive à son répertoire la Cendrillon de Massenet (ce sera en avril le tour de l’Opéra de Lausanne), à tel point que l’auteur de Manon et de Werther est en passe de devenir aussi « l’auteur de Cendrillon ». Et comme l’Opéra de Paris a eu la bonne idée de programmer en mai une nouvelle production de Don Quichotte confiée à Damiano Michieletto, Massenet pourrait bien redevenir enfin l’homme de plus que deux titres. D’autant que l’Opéra de Reims vient de remonter L’Adorable Bel-Boul, opérette de jeunesse longtemps crue perdue, et que le Palazzetto Bru Zane a révélé l’admirable Ariane grâce à un enregistrement dûment salué par la critique (après avoir ressuscité Le Mage et en attendant une très prometteuse Grisélidis à paraître).

Il est donc permis de considérer que la réputation posthume de Massenet ne se porte pas trop mal, et qu’il était grand temps, même en l’absence de tout anniversaire à célébrer, que la fameuse collection de biographies chez Fayard ouvre ses portes au Stéphanois. Pour avoir beaucoup écrit sur lui et pour avoir encadré différents colloques et ouvrages collectifs, Jean-Christophe Branger est sans doute aujourd’hui l’un des musicologues qui connaissent le mieux Massenet, et le millier de pages qu’il a rédigé pour Fayard le montre de manière éclatante. De la vie privée du compositeur, il est assez peu question dans ce volume, essentiellement parce que le principal intéressé fut toujours très discret, sa seule toquade attestée – et toute platonique – fut la passion que lui inspira Lucy Arbell dans les dernières années de sa vie. Quant à sa personnalité, Massenet lui-même ne cachait pas combien il était sensible, nerveux, prompt à s’inquiéter ou à craindre le pire. L’homme suscita les réactions les plus contradictoires, aimé et respecté par ses élèves admiratifs, détesté et jugé hypocrite par ses adversaires.

Car l’un des grands mérites de cet ouvrage est de rappeler combien, en son temps, Massenet divisa l’opinion, son succès même ayant inévitablement suscité des jalousies. D’abord perçu comme symphoniste (il semble que cette facette soit aujourd’hui bien négligée, les programmateurs de concert ayant oublié les nombreuses suites pour orchestre qu’il composa tout au long de sa carrière), puis comme spécialiste de l’oratorio, c’est seulement ensuite qu’il sut s’imposer sur les scènes lyriques, au point de les monopoliser, selon ses détracteurs. Trop wagnérien ou pas assez, trop en rupture avec la tradition ou trop conforme aux modèles en vigueur, Massenet s’attira tous les reproches et toutes les inimitiés, mais sut toujours conserver la faveur du public même lorsqu’il déconcertait la critique par son apparente absence de modernité autant que par son renouvellement des formes. Il fit aussi scandale dans certains milieux, par la sensualité de sa musique, surtout lorsqu’elle s’associait à des thématiques religieuses. Le compositeur sut toujours défendre ses intérêts pour s’imposer au mieux : alors qu’il composait le ballet du Roi de Lahore, il prévoyait qu’il faudrait pour le danser « des femmes nues, vraiment nues » ; plusieurs décennies après, il ne lui déplut pas que sa Thérèse soit créée le même soir que L’Heure espagnole. Et si ses ennemis avaient la dent dure – Leconte de Lisle, très contrarié qu’on impose une musique de scène à sa pièce Les Erynnies, déclarait : « Sans Massenet et sa musiquette, ma satisfaction serait complète », mais d’autres n’hésitaient à recourir à toutes sortes d’insultes abjectes – le compositeur n’était pas dénué d’un humour assez rosse. Apprenant l’incendie de la salle Le Peletier en 1873, il confia à Vincent d’Indy : « j’espère au moins que la partition de Mermet [l’opéra Jeanne d’Arc] n’aura pas échappé au désastre »…

 

Forumopera.com (Christophe Rizoud)

 

Longtemps, la musique de Massenet a été considérée avec suspicion, voire hostilité. « Vous allez me brouiller avec tous mes confrères si vous me faites dire tout le bien que j’en pense ! », plaisantait Olivier Messiaen. Les accusations de facilité et même d’incitation à la volupté étaient confortées par le caractère prétendument féminin de ses compositions – accusation essentiellement formulée par des critiques masculins, relève Jean-Christophe Branger dans l’introduction de son Jules Massenet. Notre époque pointilleuse sur les questions de genre jugerait inadmissible ce dernier reproche, à juste titre. Voilà le père de Manon et Werther, deux de ses vingt-six opéras achevés les plus célèbres, projeté malgré lui au cœur des sujets sociétaux de notre temps. Cette modernité involontaire vaut bien un nouvel ouvrage biographique qui, bénéficiant du recul salutaire qu’apporte le temps, reconsidère le compositeur et l’œuvre.

Et quel écrivain plus légitime pour mener cette entreprise de réévaluation que Jean-Christophe Branger, agrégé de musique et docteur de La Sorbonne, professeur de musicologie dont les recherches et les publications depuis plus d’un quart de siècle s’articulent autour de Massenet. Réévaluation et non réhabilitation. Il ne s’agit pas tout au long d’un récit chronologique de près de 1000 pages de convaincre du génie de Massenet mais en toute objectivité et exhaustivité d’aider le lecteur à comprendre les motivations et les raisons de son succès autant que de son rejet. Le nombre de sources consultées et citées de manière à confronter les témoignages et les points de vue conjure la tentation hagiographique.

Se dessine dans le même temps le portrait artistique d’une Europe en proie au wagnérisme. L’ouvrage a tôt fait de s’apparenter à un bottin de musiciens. Au fil des pages, processionne tout ce que le Second-Empire et la IIIe République comptent de compositeurs, d’Ambroise Thomas, professeur de Massenet au Conservatoire dans les années 1860, à Ruggero Leoncallo, alors inconnu, qui fut à l’origine de la rencontre avec Sybil Sanderson, soprano américaine qui inspira le rôle d’Esclarmonde et dont le contre-sol fut baptisé « la Note-Eiffel de l’Opéra-Comique » – nous sommes en 1889, l’année de l’exposition universelle pour laquelle est érigée « la tour de 300 mètres » devenue depuis l’emblème de Paris. Impossible de citer tous leurs noms. L’index en fin de volume occupe vingt-cinq pages. Ainsi défilent références et influences, car Massenet auquel on reprocha l’éclectisme fut inspiré par les grands compositeurs de son temps – Verdi, Wagner, Gounod… – autant qu’il inspira ses successeurs, jusqu’à Messiaen. C’est dire la place qu’il occupe dans l’histoire de la musique, n’en déplaise à ses détracteurs.

Au-delà de la somme d’informations, reclassée, complétée, remise en perspective, expurgée de l’empois déposé par la légende, auquel Massenet a prêté lui-même le flanc dans ses Souvenirs, Jean-Christophe Branger affine le portrait d’un homme à la personnalité complexe. Cette complexité fut sans doute assimilée en un raccourci caricatural à la féminité dont on le taxait comme d’une maladie honteuse. Nul ne peut lui dénier une force de travail et de caractère qu’un biais inconscient tout aussi contestable associe à la virilité. A travers les citations de ses nombreux écrits, transparaissent d’abord une sensibilité hors du commun, et une sincérité dont on oublie souvent de lui faire crédit. Par exemple, lorsqu’attelé à la composition d’Herodiade, il écrit « je travaille avec ferveur à cet ouvrage dans lequel je mets ma vie, ma foi, mon cœur et mon sang ». Citation que Jean-Christophe Branger pourrait reprendre à son compte. Ce sont ces mêmes composantes qui irriguent une biographie appelée à faire référence.

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