Une première : ARIANE en CD

par / Jeudi, 16 novembre 2023 / Publié dans Actualité
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En septembre 2023 est paru le premier enregistrement intégral d’ARIANE de Massenet sous le Label Bru Zane.


Il se présente sous la forme d’un livre-disque de 168 pages et 3 CD.

 

 

 

Distribution :

Ariane : Amina Edris
Phèdre : Kate Aldrich
Thésée : Jean-François Borras
 Pirithoüs : Jean-Sébastien Bou
Perséphone : Julie Robard-Gendre
 Eunoé, Première sirène : Marianne Croux
 Chromis, Cypris, 2e sirène : Judith Van Wanroij
 Le Chef de la Nef, 1er matelot : Yoann Dubruque
 Phéréklos, 2e matelot : Philippe Estèphe

Münchner Rundfunkorchester, Chor des Bayerischen Rundfunks, dir. Laurent Campellone 

 

Sommaire du livre :

Alexandre Dratwicki, Quand le fil se rompt…
Jean-Christophe Branger, L’antiquité grecque ressuscitée
Michela Niccolai, Ariane en galère
Gabriel Fauré, Quelques mots sur la première
Deux interviews de Massenet
Synopsis
Livret
Distribution – Index

L’enregistrement de cette oeuvre rare de 1906 a été salué unanimement par la presse française et internationale et comptabilise déjà plusieurs récompenses.

 

Critique parue sur le site Forum-Opéra signée par Christophe RIZOUD :

En 2007, Laurent Campellone, alors en poste à Saint-Etienne, regrettait qu’Ariane qu’il venait de diriger ne donne pas lieu à un enregistrement commercial. Tout vient à point… Le 18e des 25 opéras de Jules Massenet capté à Munich en début d’année fait aujourd’hui l’objet d’un de ces livres CD auquel le label Bru Zane nous a accoutumés (Thérèse et Le Mage, deux autres opéras rarement joués du même compositeur figurent aussi dans la collection).

De l’intérêt – disons plus, de la beauté – de la partition, il n’est plus nécessaire de nous convaincre. Et quand bien même on en douterait, la direction musicale rappelle quel maître était Jules Massenet et comme il savait adapter sa musique à chaque nouveau sujet. S’agissant d’Ariane, héroïne mythologique, l’art déclamatoire de Gluck est souvent évoqué. Wagner aussi, évidemment. Dès le prélude, les Sirènes se posent en transfuges des Filles du Rhin ; l’écho cuivré de la chevauchée des Walkyries envahit le retour à Naxos au cinquième acte. Cette somme d’influence engendre cependant une partition personnelle, et ambitieuse car voulue comme une réponse française au wagnérisme triomphant. Dirigées par Laurent Campellone qui connaît son Massenet sur le bout de la baguette, les forces chorales et instrumentales bavaroises en magnifient les reflets changeants. Ni kitch, ni platitude, ni pompes inutiles et vains bavardages … Malgré quelques faiblesses dramaturgiques relevées dès la création, Ariane renaît, rendue à sa splendeur originelle.

Pourquoi l’œuvre, en dépit de son succès lors de sa création au Palais Garnier en 1906 a-t-elle quitté si vite la scène pour n’en retrouver le chemin qu’à de rares occasions (1937 à Paris, avec Georges Thill en Thésée) ? Massenet de son vivant incrimina André Messager. Selon Alexandre Dratwicki dans son avant-propos, la raison aujourd’hui en incombe à la débauche de moyens exigés par un opéra qu’il qualifie de « péplum cinématographique avant l’heure ». Le livret dépeint rien moins qu’une tempête en pleine mer et au quatrième un royaume des Enfers où trône Perséphone « longue, fière et fine, pâle, hiératique, levant un lys noir dans sa main droite » – indiquent, disertes, les didascalies. Le chœur – sirènes, vierges, matelots, vieillards… –, la présence d’un court ballet participent à l’exigence de décorum. Surtout – et cet enregistrement en témoigne – il faut des chanteurs émérites pour surmonter les ambitions d’une écriture post-wagnérienne : un fort ténor, un baryton héroïque, trois prime donne – Phèdre, soprano dramatique n’ayant que peu à envier au rôle-titre, tandis que l’acte des enfers réclame en Perséphone un contralto digne d’Erda.

Le disque a des prétentions que la scène n’impose pas. Le « sans faute » vocal décerné lors du concert munichois semble moins patent sous les fourches caudines des micros. Ce n’est pas tant côté masculin que l’écart se creuse. Jean-Sébastien Bou ne souffre d’aucune faiblesse. Voix solide, apte à tracer son chemin droit dans le brasier orchestral ; déclamation souveraine ; prestance qui n’est pas seulement posture mais aussi noblesse et autorité : Pirithöus s’inscrit dans la grande tradition du baryton français. Le récit du 3e acte « Victoire des vaincus » est de ceux que l’on s’empresse de ranger dans la playlist « Titres likés » de son site de streaming musical.

Faut-il Thésée, façonné par Massenet dans l’airain du légendaire Lucien Muratore, pour rappeler quel ténor est Jean-François Borras ? Vaillance et douceur sont conciliées d’un timbre à la séduction évidente. Le chant exclut tout rupture et tout passage en force. A la caresse voluptueuse du tendre arioso « Ariane, ô bouche fleurie » répondent les élans conquérants de « Ô vierge guerrière » pour figurer l’entière réplique du héros de l’Attique, amant infidèle et guerrier conquérant.

Ariane n’est jamais aussi convaincante que lorsque Amina Edris nuance son propos et affine les contours d’une voix pulpeuse. La langoureuse supplique « Tu lui parleras », la souplesse de « chère Cypris » que l’on croirait empruntée à Thaïs, ou la désolation finale « C’était si beau » tracée à la pointe fine rachètent une articulation souvent pâteuse, quelques duretés dans l’éclat et une tendance à la placidité.

Le vibrato très prononcé, les teintes violacées de Kate Aldrich ravalent Phèdre au rang de virago quand la sœur et rivale d’Ariane se doit aussi d’être princesse.

Apparition fantomatique dans le seul acte des Enfers, à la manière d’Ulrica dans le Balloverdien, Julia Robard-Gendre surprend par la profondeur d’un mezzo-soprano qui assume sans effort apparent la tessiture abyssale de Perséphone, et parvient à triompher de l’épreuve du mélodrame – procédé cher à Massenet à une époque où les tragédiennes, à l’exemple Sarah Bernhardt, étiraient l’emphase jusqu’au sublime.

Au second plan, s’affirment les interventions martiales de Yoann Dubruque et de Philippe Estèphe, les harangues de Judith van Wanroij – Cypris émule de Junon plus que de Vénus – et l’aubade d’Eunoé, « Pourquoi pleurez-vous », à laquelle Marianne Croux prête le fruit rouge d’un soprano qui un jour pourrait prétendre à Ariane – ce que l’on souhaite, ne serait-ce que pour voir cet opéra injustement négligé de Massenet revenir au répertoire.

 

 

Critique parue sur le site Res Musica sous la plume de Matthieu ROC :

 

Captée sur le vif lors d’un concert munichois, voilà l’Ariane de Massenet sauvée de l’oubli où l’avaient fait couler la lourdeur de ses cinq actes et un livret trop ampoulé. Justice est enfin rendue à une partition d’une beauté et d’une qualité exceptionnelles.

 

Cet opéra remplit tous les critères du Théâtre national de l’Opéra : cinq actes, fin 

tragique, apparitions surnaturelles et même un ballet à l’acte IV. Pour une création de 1906, cette structure était déjà démodée, mais manifestement, Massenet ne craignait pas l’académisme. Il n’a pas eu peur non plus du livret de Catulle Mendès, avec ses emphases, ses longueurs, ses contradictions (le rôle de Cypris-Vénus ?), ses personnages féminins aux poses hiératiques et souffrantes (les deux sœurs rivales Ariane et Phèdre), son héros masculin (Thésée) déboussolé entre ses diverses pulsions amoureuses. Ce péplum verbeux, qu’on n’hésitera pas à qualifier de pompier, est certainement ce qui a fait couler le navire même s’il n’est pas exempt de 

quelques beautés littéraires.

Sa plus grande qualité est de permettre à Massenet d’y greffer une musique inspirée, variée et homogène qui en dissout tous les défauts. Il sauve l’intrigue plutôt statique par une succession d’airs, duos, chœurs, orages, pantomimes, imprécations, etc. très fluide et sans « tunnel », dans un continuum dramatique bien réussi. Il y déploie un lyrisme mesuré, capable de tendresse comme d’effroi, mais toujours sans pathos. Et surtout, il fait preuve d’une inventivité remarquable. Tout est au même niveau de qualité, depuis le chant des sirènes au chœur des « voix des âmes » de l’Hadès, en passant par le combat de Thésée et du Minotaure, les duos d’amour ou de tendresse, la tempête, les lamentos d’Ariane ou les reproches de Pirithoüs. Massenet a parfaitement digéré son Wagner, comme le démontre Jean-Christophe Branger (Ah, ces excellents livres de présentation du label Bru Zane !) avec un bel arsenal de thèmes récurrents et un orchestre bien cuivré (quoique toujours léger), mais on devine, grâce à une grande variété de couleurs fines, qu’il a aussi entendu ses contemporains comme Fauré, Chausson et même Debussy, tout en restant authentiquement lui-même. A 64 ans, Massenet apparait désormais mieux dans son évolution stylistique comme un pont vers Ravel, Dukas, Mariotte et Richard Strauss, et pour le lyricomane ordinaire, c’est une découverte magnifique. Nous sommes en quelque sorte obligés de modifier notre perception de ce compositeur et de le repositionner davantage vers le XXᵉ siècle débutant.

Ce premier enregistrement mondial a été fait en concert, avec les avantages et les inconvénients de ce mode de captation. Il est assez évident que les interprètes des trois rôles principaux (Ariane, Phèdre, Thésée) n’ont pas la voix héroïque qui leur permettrait de les chanter dans une grande salle de théâtre lyrique, et qu’il faudrait pour ces rôles un Lohengrin, une Elsa et une Ortrud. Mais leur jeunesse et leur lyrisme sont convaincants. Leur engagement est maximum, et les tensions perceptibles dans leurs timbres et dans quelques-unes de leurs lignes de chant sont pleinement en phase avec les tensions d’âme des personnages, tourmentés à l’extrême par la vengeance de Vénus (Cypris). Amina Edris incarne ainsi une Ariane touchante et inspirée, lumineuse de tendresse et de courage, assumant jusqu’au bout son amour pour Thésée et pour sa sœur. Phèdre, consumée de passion et de remords, est chantée par Kate Aldrich. Sa voix tendue au bord de la rupture n’est pas toujours parfaitement belle, mais elle est endurante, toujours juste et porteuse d’une tragédie intense. Jean-François Borras donne à Thésée un timbre d’une beauté mâle et juvénile, et rend le héros crédible aussi bien dans son triomphe contre le Minotaure que dans ses élans amoureux et ses tortures morales portées à la limite de la folie. Jean-Sebastien Bou et Julie Robard-Gendre ont des formats vocaux parfaitement adéquats à leurs parties. Le premier fait un Pirithoüs viril et distingué, la seconde une Perséphone de grande classe, avec des graves abyssaux et des lignes superbes. Il faut encore noter les silhouettes d’Eunoé, par l’excellente Marianne Croux, et de Cypris (dans son étonnante apparition bienveillante) par l’impeccable Judith van Wanroij. Le chœur de la radio bavaroise assume avec précision ses interventions, et l’orchestre de la radio de Munich fait des merveilles. Chaque pupitre semble virtuose et diffuse le bonheur de jouer une aussi belle partition. Artisan de cette incontestable réussite et grand défenseur de Massenet, Laurent Campellone fait progresser le drame avec ses crises et ses respirations, distribue les couleurs de la mer, les reflets du soleil, l’éclat des roses ou l’horreur de l’Hadès avec une énergie bien dosée et une clarté toujours admirable.

Fauré parlait d’Ariane comme d’une « œuvre noble, grande et émouvante… » et il avait bien raison. On se demande comment on a pu ignorer cette merveille pendant si longtemps. Mendès et Massenet ont également commis un Bacchus en 1910. En aurons-nous un jour une aussi belle ressuscitation ? En attendant, on réécoutera souvent les appels des sirènes, l’enchantement des roses dans l’Hadès et les splendides lamentations d’Ariane.

 

 

 

Münchner RundfunkorchesterL’équipe artistique d’Ariane à Munich

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